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  • Photo du rédacteurDelphine

La route sombre de Ma JIAN

Dernière mise à jour : 26 mars 2018

Editeur : J'AI LU

Date 1ère parution : 2013

Genre : Drame

Nombre de pages : 542


Quatrième de couverture :


Le ventre de la jeune paysanne Meili est l'obsession de son époux Kongzi. Ensemble ils ont une fille, mais Kongzi, qui veut à tout pris un fils pour poursuivre la lignée de sa célèbre famille, met à nouveau Meili enceinte, sans attendre la permission légale.

Lorsque les agents de contrôle des naissances envahissent le village, ils fuient vers le fleuve Yangtze. Commence alors une longue cavale vers le sud, àtravers une Chine dévastée.


Mon avis :

Un gros paquet de jours après avoir terminé la route sombre de Ma Jian, je me lance pour donner mon avis. Il m'a bien fallu ces quelques jours pour commencer à le digérer.

En effet, j'ai abordé ce livre sans aucune précaution particulière et avec beaucoup de naïveté quant à ce qui m'attendait.

Hors, j'ai pris une claque dès les premières pages.

A vrai dire, j'aurais dû m'en douter car le sujet est grave puisqu'il s'agit de la politique de l'enfant unique appliquée en Chine dès 1979 et assouplie que depuis 2015.

Mais en plus, j'allais le vivre de manière dramatique, violente, terrifiante et angoissante à travers l'épopée funèbre de Meili, de son mari Kongzi et de leur fille Nannan.

Ce sont de simples paysans qui subissent déjà tout ce que cela implique : pas ou peu d'éducation, pas d'accès aux soins médicaux, aucun privilège accordé aux citadins et pas le droit d'aller en ville mais qui de surcroît vont tenter de braver l'interdit puisque leur premier enfant étant une fille, Meili va retomber enceinte bien trop vite au regard de la loi. Ils vont donc fuir pour donner une chance à leur deuxième enfant de venir au monde. Ils veulent pour cela rejoindre le peuple de l'eau sur les rives du fleuve Yangtze car il semblerait que la répression y soit un peu moins forte…

Pour moi, il s'agit d'un roman-document, d'un road movie ou affleure le fantastique et qui se situe dans la Chine des années 90 (époque la plus dure). C'est une fiction oui, mais écrite avec un profond respect de la réalité des choses. C'est une fusion entre la réalité et l'imaginaire littéraire.

Plusieurs aspects épouvantables de la férocité implacable avec laquelle la loi est appliquée sont abordés. On parle ici d'avortements forcés à terme, de stérilisation, de pose de stérilets forcés, d'infections provoquées. Des milliers d'enfants sont morts, les corps des femmes ont été bafoués sans aucune considération humaine.

Ce roman est écrit autour du portrait d'une femme qui comprend qu'elle doit se battre pour reconquérir son corps devenu objet, pour s'opposer à son pays alors qu'elle est analphabète. Elle dit non, elle se rebelle.

C'est passionnant et terrifiant, parfois à la limite du soutenable, car rien ne sera épargné au corps de Meili.

Ces 900 millions de paysans persécutés dans leur chair représentent tout de même les 2/3 de la population chinoise.

Le poids de la tradition, qui fait qu'avoir un fils pour assurer la lignée de la famille est impératif (Kongzi est un lointain descendant de Confucius) prend tout son sens dramatique également.

Non seulement le corps de Meili appartient à l'Etat communiste mais il appartient à son mari dans le seul but d'enfanter un fils qu'elle qu'en soit les conséquences.

Enfin, un dernier élément fort troublant dans ce récit est l'omniprésence de la pollution extrême, de ses conséquences sur l'environnement et sur la santé de ces pauvres paysans qui non content de vivre dans un dénuement quasi complet, se ruinent la santé jours après jours, heures après heures. J'étais souvent très écœurée par ce que je lisais, par cette "commune céleste" si polluée par les produits chimiques.

Ma vision de la Chine est différente désormais et pas à son avantage loin s'en faut.

J'aimerais que beaucoup se lancent dans cette très éprouvante lecture pour "savoir" et que la loi du silence se brise, mais attention, certains passages sont très violents, très crûs sans aucun filtre. Mieux vaut être prévenu.

Cependant, ce livre doit être partagé, il en vaut vraiment la peine.


Quelques extraits :


"Ces salauds de communistes ont réussi à détruire l'héritage de Confucius : la bienveillance, la droiture, la propriété, la sagesse - toutes les valeurs qu'il mettait en avant ont disparu. Quand la femelle d'un panda attend un petit, la nation entière se réjouit. Mais quand une femme tombe enceinte, on la traite comme une criminelle. Dans quel pays sommes-nous donc?"
"Meili s'imagine à nouveau dans ce cadre paradisiaque, assise en toute sécurité dans un jardin et tricotant paisiblement, tout en respirant à pleins poumons ces produits chimiques bénis, qui empêchent les femmes de concevoir des enfants. Elle ignore combien de temps il faut pour se rendre de la fertile montagne de Nuwa aux étendues stériles de la Commune Céleste."
"Elle a découvert que les femmes ne sont pas maîtresses de leur propre corps, dont leur mari et l'État se disputent la possession : les maris pour satisfaire leurs besoins sexuels et engendrer des héritiers mâles-et l'État pour affermir son pouvoir et faire régner la terreur, en les contrôlant sans arrêt."
" Parce que nous sommes nés à la campagne, répond Meili. Et du coup, notre destin est scellé : les autorités nous refusent l'accès à la libre éducation, aux soins médicaux et à tous les privilèges dont jouissent les habitants des villes."
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